Un vent de changement souffle sur la manière dont le Tribunal administratif du logement (TAL), anciennement connu sous le nom de Régie du logement, calcule les augmentations de loyer au Québec. La ministre France-Élaine Duranceau a récemment présenté une nouvelle méthode, présentée comme plus simple et susceptible d'atténuer les fortes hausses. Cependant, une analyse des données du TAL révèle une réalité potentiellement plus amère pour les locataires.
Selon les chiffres fournis par le TAL, si cette nouvelle approche avait été en vigueur depuis 2010, les locataires auraient collectivement subi une augmentation cumulative de leurs loyers de 38,2 %, contre 23,8 % avec l'ancienne méthode. Cela représente un écart significatif de 15 points de pourcentage sur 15 ans, soulevant des questions quant aux bénéficiaires réels de cette réforme.
Une simplification qui coûte cher ?
La ministre Duranceau avait initialement indiqué que la nouvelle méthode permettrait de réduire l'ampleur des hausses importantes, citant à titre d'exemple la hausse de 5,9 % avancée en janvier dernier, qui aurait été ramenée à 4,5 % avec le nouveau calcul. Si cette affirmation s'avère exacte pour certains cas spécifiques, l'analyse des données sur une plus longue période suggère une tendance inverse. Les années 2024 et 2023 apparaissent comme des exceptions, où la nouvelle méthode aurait été plus avantageuse pour les locataires. Pour toutes les années précédentes depuis 2010, elle se serait révélée plus coûteuse.
Le cabinet de la ministre a réagi à ces chiffres en appelant à la prudence quant à leur interprétation, soulignant que les recommandations annuelles du TAL ne reflètent pas nécessairement les hausses effectivement appliquées par les propriétaires. Sarah Bigras, directrice des communications de la ministre, a précisé qu'il est difficile d'obtenir un pourcentage précis des loyers fixés pour l'ensemble des logements au Québec, les données exactes étant principalement disponibles pour les cas ayant fait l'objet d'un désaccord et tranchés par le TAL.
Travaux : la facture s'annonce plus salée
Un aspect particulièrement préoccupant pour les associations de locataires concerne le calcul des hausses liées aux travaux effectués par les propriétaires. L'ancien système ajustait la hausse en fonction des taux d'intérêt, permettant parfois un amortissement des coûts sur des périodes plus longues (jusqu'à 50 ans, par exemple, en 2022). La nouvelle méthode propose un taux fixe basé sur une période d'amortissement de 20 ans.
Cette modification signifie concrètement que les hausses refilées aux locataires en cas de travaux seront plus importantes et plus rapides à encaisser pour les propriétaires. Les regroupements de propriétaires, comme la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), y voient un incitatif bienvenu à la rénovation du parc locatif. Leur porte-parole, Éric Sansoucy, estime que cette mesure encouragera les petits propriétaires à entretenir leurs immeubles plutôt que de les vendre à des spéculateurs.
Colère chez les locataires
Du côté des locataires, la réaction est vive. Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec dénonce un « règlement abusif ». Si ces associations se félicitent du retrait de la « composante du revenu net » dans le calcul, qui avait tendance à gonfler les hausses, elles estiment que la ministre Duranceau a profité de cette occasion pour introduire d'autres changements bénéficiant principalement aux propriétaires. Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), exprime notamment son inquiétude face aux nouvelles règles concernant les travaux.
Un exemple concret : l'impact sur le portefeuille
Pour illustrer l'impact de la nouvelle méthode, prenons l'exemple d'un immeuble avec deux locataires payant chacun 1000 $ par mois, où le propriétaire investit 10 000 $ en travaux. Avec un amortissement sur 20 ans à un taux de 5 %, chaque locataire devra débourser 20,83 $ supplémentaires par mois. En comparaison, avec la méthode en vigueur en 2020, où l'amortissement aurait pu s'étaler sur environ 32 ans, cette hausse n'aurait été que de 12,89 $ par mois par locataire. La différence, bien que pouvant sembler modeste individuellement, prend une ampleur considérable à l'échelle du parc locatif québécois.
Des pistes de solutions pour les locataires ?
Face à ces changements, le porte-parole de la CORPIQ suggère que le gouvernement se penche davantage sur des programmes d'aide ciblée pour les locataires les plus vulnérables, tels que le programme d'allocation-logement ou le supplément au loyer. Il reconnaît que même une augmentation de 50 $ par mois peut représenter une somme importante pour certains ménages.
La nouvelle méthode de calcul du TAL soulève un débat important sur l'équilibre entre les intérêts des propriétaires et des locataires. Si la simplification du calcul est un objectif louable, les données actuelles suggèrent que les locataires pourraient bien être ceux qui en paient le prix fort à long terme. Il reste à voir si le gouvernement apportera des ajustements pour atténuer l'impact de ces changements sur le pouvoir d'achat des locataires québécois.
0 Commentaires